Projet Trois siècles de migrations francophones en Amérique du Nord 1640-1940 (TSMF)

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Photo : Autos devant l'Hôtel Commercial à VernerCollection Bibliothèque publique de Nipissing Ouest. Photo. Familles Michel et Sylvestre de Verner.

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Un îlot francophone dans le canton de Caldwell, Ontario, en 19011

par Guy Parent, maître généalogiste agréée (MGA)

 

Introduction

Au 19e siècle, des centaines de milliers de Canadiens français quittent la province de Québec. Ils sont attirés par les États-Unis et par l’éventualité de trouver du travail dans un monde industriel dont on vante la prospérité. La Nouvelle-Angleterre se veut un pôle d’attraction incontournable pour ces émigrants avec ses nombreuses villes industrielles, comme Manchester au New Hampshire, Lowell au Massachusetts ou Woonsocket au Rhode Island.

La plus grande partie des émigrants Canadiens français se sont dirigés vers les États-Unis, mais une proportion non négligeable de ceux-ci a choisi l’Ontario comme destination. Le peuplement français de cette province a commencé au 19e siècle2

La région limitrophe du Bas-Canada située à l’ouest de la rivière des Outaouais est l’une des destinations pour ceux qui quittent le Québec au cours de cette période. Jusqu’en 1820, la population du comté de Prescott est exclusivement de langue anglaise. Dans les années 1830, les premiers Canadiens français s’établissent dans ce comté. En 1836 s’ouvrent les registres de la paroisse Saint-Jean-Baptiste, à L’Orignal, suivis de ceux de la paroisse Saint-Luc, à Curran, en 1839. D’autres régions de l’Ontario plus éloignées que l’Est ontarien les attirent aussi à la fin du 19e siècle, par exemple le canton de Caldwell.

 

Le canton de Caldwell

À la fin du 19e siècle, un mouvement migratoire amène les Canadiens français du Québec et de l’Est ontarien vers le nord de l’Ontario. Au rythme de la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique, ils remontent les rivières des Outaouais et Mattawa pour s’implanter sur les bords du lac Nipissing3. La construction de la voie ferrée de Bonfield à Sudbury commence en 1883 et le Canadien Pacifique installe un campement dans le canton de Springer, près de la frontière avec le canton de Caldwell, sur la rive nord du lac Nipissing (figure 1). Afin d’occuper ce territoire, le Canadien Pacifique facilite le déménagement des familles des régions lointaines du Québec et même des États-Unis4. On considère que Paul Côté, originaire de L’Isle-Verte dans le Bas-Saint-Laurent, est le premier colon du canton de Caldwell. Quoique résidant à Sturgeon Falls, il vient occuper son terrain dans ce canton en 18825.

Figure 1. Localisation de la paroisse Saint-Jean-Baptiste, Verner, canton de Caldwell
(Réalisation : Nicolas Lanouette, CIEQ, Université Laval)

Figure 1. Localisation de la paroisse Saint-Jean-Baptiste, Verner, canton de Caldwell  (Réalisation : Nicolas Lanouette, CIEQ, Université Laval)

 

Caractéristiques de la population du canton de Caldwell en 1901

Le recensement canadien de 1901 est le premier recensement qui fait mention du canton de Caldwell. En 1891, ce canton faisait partie du canton voisin de Springer6. La municipalité du canton de Caldwell fut créée en 1894. L’année suivante, on assiste à l’érection canonique de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Verner7. En 1901, la population totale du canton est de 868 âmes8.

Pour les individus qui sont nés au Canada, il est indiqué comme lieu d’origine Québec ou Ontario, pour ceux qui sont nés aux États-Unis, le nom de l’État américain est précisé, sauf en une occasion et, pour ceux d’origine européenne, c’est le nom du pays. Cette information permet de connaître les lieux d’origine de la population de ce canton.

 

Tableau 1. Origine des chefs de famille canadienne-française du canton de Caldwell en 1901 d’après leur lieu de naissance

Lieu de naissance

Nombre

Nés au Québec

135

Nés en Ontario de parents nés au Québec

15

Nés aux États de parents nés au Québec

3

 

Une évidence s’impose à la lecture du recensement de 1901 pour le canton: il est peuplé en très grande majorité d’individus qui sont originaires du Québec. Le recenseur a comptabilisé 156 résidences et 167 familles, en incluant la maisonnée du curé Charles Langlois. Dans ces 167 familles, un individu est reconnu comme le « chef » et, dans deux familles, il y a deux individus identifiés de cette façon. Ainsi on compte, en incluant le curé, 169 chefs de famille. Ces derniers et la très grande majorité des membres qui les composent ont été identifiés. Des 169 chefs, 153 sont d’origine canadienne-française. Mais ils ne sont pas tous nés au Québec, certains sont nés en Ontario et quelques-uns aux États-Unis. Les chefs de famille ont été divisés en trois catégories selon leur lieu de naissance (tableau 19).

Ainsi, 135 de ces 153 chefs de famille d’origine canadienne-française sont nés au Québec, soit 88 %, 15 en Ontario et 3 aux États-Unis. Tous ces chefs de famille ne sont pas nécessairement mariés. Au recensement de 1901, 139 chefs de famille sont mariés, 5 sont veufs, 3 sont veuves et 7 sont célibataires, en incluant le curé Langlois. Pour toutes ces familles, 136 épouses ont été identifiées, dont les trois veuves chefs de famille. Le profil des lieux de naissance des épouses des chefs de famille s’apparente à celui de leurs époux10.

Elles ont été divisées de la même façon quant à leur origine (tableau 2). Sur 136 identifiées, 90,4 % sont nées au Québec.

 

Tableau 2. Origine des épouses canadiennes-françaises du canton de Caldwell en 1901 d’après leur lieu de naissance

Lieu de naissance

Nombre

Nées au Québec

123

Nées en Ontario de parents nés au Québec

10

Nées aux États-Unis de parents nés au Québec

3

 

Le portrait des lieux de naissance des enfants est très différent de celui de leurs parents. Le tableau 3 présente la province ou leur pays d’origine11.

 

Tableau 3. Origine des enfants canadiens-français du canton de Caldwell en 1901 d’après leur lieu de naissance

Lieu de naissance

Nombre

Québec

191

Ontario

245

États-Unis

61

 

Sur un total de 497 enfants recensés, 49,3 % sont nés en Ontario, 38,4 % au Québec et 12,3 % aux États-Unis. Les 61 enfants nés aux États-Unis proviennent de trois États : Massachusetts avec 33, Michigan avec 22 et New York avec 6. Comme on peut le constater, près de la moitié des enfants des familles d’origine canadienne-française sont nés en Ontario, ce qui signifie que beaucoup de ces familles ont quitté le Québec depuis quelques années pour l’Ontario avant de s’installer dans le canton de Caldwell où on les retrouve en 1901. Généralement, les enfants nés en Ontario sont plus jeunes, leur moyenne d’âge étant de 5,5 ans, comparativement à 11,9 ans pour les enfants nés au Québec et 10,2 ans pour ceux qui sont nés aux États-Unis.

 

Origine des francophones du Québec

Afin de connaître la provenance des habitants d’origine canadienne-française, une recherche de la paroisse d’origine des chefs des familles a été réalisée. Les noms des divisions et subdivisions du recensement de 1901 ont été utilisés pour trouver les paroisses d’origine12.Ainsi, les chefs de famille ont été classés d’après les divisions de recensement d’où ils sont originaires.

Deux paramètres ont été utilisés pour connaître le lieu d’origine au Québec des chefs des familles canadiennes-françaises13. Le premier est la paroisse où a été célébré le baptême du chef de famille. Sur les 153 chefs de famille, les dates et les lieux du baptême de 126 ont été trouvés. Cette recherche est nécessaire pour vérifier si les dates de naissance inscrites dans le recensement correspondent bien à celles de l’individu nommé, car une étude a montré qu’il ne faut pas se fier à l’exactitude des dates de naissance inscrites dans le recensement de 190114. Si l’acte de baptême du chef de famille n’a pas été trouvé dans les registres paroissiaux, le deuxième paramètre utilisé pour connaître le lieu d’origine a été la paroisse où se sont mariés les parents de ces chefs de famille, ce qui a permis de repérer la provenance de 19 autres chefs de famille. Ainsi, la division de recensement d’origine de 145 chefs de famille a été trouvée. Il reste 8 chefs de famille pour lesquels il a été impossible de préciser leur origine au Québec. La difficulté réside dans le fait que ces familles ont séjourné pendant quelque temps aux États-Unis et le canton de Caldwell constitue minimalement leur deuxième lieu de migration. La seule information disponible est le lieu de naissance des enfants, province ou État américain, fourni par le recenseur.

Des 145 chefs de famille dont la division de recensement d’origine a été trouvée, 135 ont migré directement du Québec et ils proviennent de 32 divisions de recensement différentes (tableau 4). On peut noter une forte concentration dans trois divisions de recensement situées sur la rive nord du Saint-Laurent, soit celle de Joliette et deux divisions avoisinantes : Berthier et Terrebonne (figure 2). Les paroisses qui composent ces trois divisions sont énumérées dans le tableau 5, elles regroupent 50,4 % des migrants avec une portion importante de 28,9 % provenant de Joliette. Les 67 autres chefs de famille proviennent de 29 divisions québécoises qui vont du Témiscouata à l’est jusqu’à Wright dans l’Outaouais.

 

Tableau 4. Divisions de recensement de la province de Québec d’où sont originaires les chefs de famille du canton de Caldwell en 1901

Division

Nombre de chefs

 

Division

Nombre de chefs

Joliette

39

 

Papineau

2

Terrebonne

17

 

Beauharnois

1

Berthier

12

 

Bellechasse

1

Deux-Montagnes

7

 

Chambly

1

Dorchester

6

 

Huntingdon

1

Champlain

5

 

Jacques-Cartier

1

Vaudreuil

5

 

Laval

1

Témiscouata

5

 

Lévis

1

Nicolet

4

 

Mégantic

1

Labelle

3

 

Montmorency

1

Lotbinière

3

 

Montréal

1

Montcalm

3

 

Richmond

1

Rimouski

3

 

Saint-Maurice

1

Argenteuil

2

 

Soulanges

1

L’Assomption

2

 

Wright

1

Maskinongé

2

 

Yamaska

1

 

Figure 2. Divisions de recensement de la province de Québec en 1901
(Réalisation : Nicolas Lanouette, CIEQ, Université Laval)

Il faut souligner un cas particulier, soit celui de Charles MacMurray, d’origine écossaise, qui est inclus dans la liste des familles d’origine québécoise. Il n’est pas d’origine canadienne-française, mais il vient du Québec et représente la troisième génération de MacMurray vivant dans cette province. Il est le fils de Jean-Baptiste et d’Henriette Henrichon. Son grand-père avait épousé Marie-Françoise Simard, à L’Assomption, le 27 avril 1813. Charles a été baptisé le 1er juin 1854 à Saint-Félix-de-Valois. Il a épousé Amanda Lacourcière, fille de Glaude et d’Agathe Bélanger, le 15 octobre 1878 à Saint-Alexis-des-Monts. Après la naissance de leur quatrième enfant en 1883, le couple part pour le Michigan où la famille demeure une douzaine d’années, avant de s’établir dans le canton de Caldwell au cours de la décennie 1890-1899.

Pour compléter le portrait des lieux d’origine des chefs de famille qui est présenté dans le tableau 4, il faut ajouter les Canadiens français qui sont nés en Ontario, au nombre de 10.

 

Tableau 5. Paroisses des trois divisions de recensement de la province de Québec d’où sont originaires le plus grand nombre d’habitants du canton de Caldwell en 1901

Division

Paroisses

Joliette

Joliette (ville), Saint-Alphonse, Saint-Ambroise, Sainte-Béatrice, Saint-Charles-Borromée, Saint-Cléophas, Saint-Côme, Sainte-Élisabeth, Sainte-Émilie-de-l’Énergie, Saint-Félix-de-Valois, Saint-Jean-de-Matha, Sainte-Mélanie, Saint-Paul et Saint-Thomas

Terrebonne

New Glasgow (village), Sainte-Adèle, ​Sainte-Agathe, Sainte-Agathe (village), Sainte-Anne-des-Plaines, Saint-Faustin, Saint-Hippolyte, Saint-Janvier, Saint-Jérôme, Saint-Jérôme (ville), Saint-Jovite, Saint-Louis-de-Terrebonne, Sainte-Lucie, Sainte-Marguerite, Saint-Sauveur, Sainte-Sophie, Sainte-Thérèse, ​Sainte-Thérèse (village)

Berthier

Berthier, Berthier (ville), Lanoraie, Saint-Barthélemy, Saint-Cuthbert, Saint-Damien, Saint-Gabriel-de-Brandon, Saint-Gabriel-de-Brandon (village), Saint-Ignace-de-Loyola, Saint-Michel-des-Saints, Saint-Norbert, Saint-Zénon et Île Dupas

 

Conclusion

En 1901, la population du canton de Caldwell en Ontario est composée en très grande majorité de personnes d’origine canadienne-française : 90,5 % des chefs de famille sont nés au Québec et le pourcentage est sensiblement le même pour les épouses (90,4 %). La situation est très différente en ce qui concerne leurs enfants, car seulement 38,4 % sont nés au Québec. L’âge moyen des enfants nés au Québec et aux États-Unis est beaucoup plus élevé que celui des enfants nés en Ontario.

Plus de la moitié des migrants québécois proviennent de trois divisions de recensement situées sur la rive nord du Saint-Laurent, surtout celle de Joliette avec près de 30 % des chefs de famille, suivie de Terrebonne et de Berthier. Des 39 chefs de famille qui proviennent de la division de Joliette, 9 sont originaires de Sainte-Mélanie et 5 de Saint-Jean-de-Matha. Plus de 11 % des chefs de famille en sont au moins à leur deuxième migration.

L’origine des migrants vers les États-Unis a déjà fait l’objet d’une recherche publiée par Ramirez et Lamarre qui se sont intéressés à la paroisse de Saint-Cuthbert, dans la division de Berthier. Les auteurs écrivent que « l’identification des réseaux précis reliant les localités du Québec et des États-Unis permet d’établir dans quelle mesure ils ont donné à ce mouvement d’émigration une configuration géo-économique et temporelle particulière15 ». Dans le cas du canton de Caldwell, la forte proportion des chefs de famille qui proviennent de la division de Joliette est probablement due au réseautage social et familial qui a drainé ces familles vers la région du canton de Caldwell à la fin du 19e siècle.

 


1. Une partie de ce texte a fait l’objet d’une publication dans L’Ancêtre, vol.47, no 333, p. 97-103.

2. Yves Frenette, « L’histoire sociale de l’Amérique française de 1763 à 1914. État des lieux », dans Cahiers Charlevoix : études franco-ontariennes. Ottawa, Société Charlevoix et Presses de l’Université d’Ottawa, 2016, p. 132.

3. Yves Frenette, op. cit., p. 135.

4. Gérald Beaudry, Paroisse Saint-Jean-Baptiste de Verner 1894-1994, canton de Caldwell 1895-1995 : cent ans d'histoire à raconter, s.l., s.é., 1995, 670 p.

5. Société historique du Nouvel-Ontario, Verner et Lafontaine, documents historiques no 8, Sudbury, 1945, 62 p.

6. Gérald Beaudry, op. cit., p. 34.

7. Gérald Beaudry, op. cit., p. 51.

8. Recensement du Canada 1901, canton de Caldwell, Ontario. http://automatedgenealogy.com/census/District.jsp?id=92, [consulté le 2 janvier 2019].

9. D’après les données du recensement de 1901.

10. D’après les données du recensement de 1901.

11. Ibid.

12. On peut consulter cette liste sur le site Web de Bibliothèque et Archives du Canada. « Les districts de recensement correspondaient généralement aux divisions électorales, villes et comtés, bien que les districts de recensement et les limites des comtés ne coïncidaient pas toujours (et les districts pouvaient même disparaître entre deux recensements) ». http://www.bac-lac.gc.ca/fra/recensements/1901/Pages/districts-sous-districts.aspx, [consulté le 10 mai 2019]. Dans notre texte, nous avons opté pour la forme moderne de désignation des unités spatiales utilisées par Statistique Canada pour les recensements (divisions et subdivisions).

13. Les bases de données suivantes ont été utilisées pour l’identification des familles du recensement canadien de 1901 du canton de Caldwell : Ancestry (https://www.ancestry.ca/ et https://www.ancestry.com/), BMS2000 (http://www.bms2000.org/fr/record/search) et Family Search (https://www.familysearch.org/search/).

14. Guy Parent, Louis Richer et Roger Parent, « Les dates de naissance au recensement de 1901 sont-elles exactes? », L’Ancêtre, vol. 36, no 291, 2010, p. 263-267.

15. Bruno Ramirez et Jean Lamarre. « Du Québec vers les États-Unis », Revue d’histoire de l’Amérique française, 1985, 38(3), 409-422. doi :10.7202/304285ar.

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