2e édition - Conditions et réglements

Le concours d'écriture Mes ancêtres au bout de ma plume ! revient pour cette 13e Semaine nationale de la généalogie sur le thème Incursion dans l'univers des métiers et professions de nos ancêtres.

Du 15 au 29 novembre 2024, nous vous invitons à plonger à travers les époques dans les histoires fascinantes de cinq ancêtres et leurs métiers ou professions... À l'issue du vote du public, le gagnant ou la gagnante remportera un prix de 500 $ !

Bonne lecture !

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Passengers and Mail, Crossing the River, Cornelius Krieghoff, 1860. Collection Musée McCord, domaine public.

Canotiers de père en fils

Madeleine Baillargeon

Société de Généalogie de Québec

 

J’ai souvenir de traversées hivernales en famille pour aller de Lévis à Québec visiter ma grand-mère. C’était notre grand plaisir d’enfants de se faire peur en regardant les glaces se fracasser bruyamment sur la coque du « bateau d’hiver ».  Juchés sur les longs bancs de bois, nous nous entassions autour des hublots de la cale pour assister à ce spectacle unique en son genre. J’ignorais alors que plusieurs de mes ancêtres lévisiens avaient fréquemment fait les mêmes traversées dans de fragiles embarcations, en exerçant leur métier de canotier.

Au cours de mes recherches sur l’histoire de ma famille maternelle, j’ai buté sur les termes de certains actes. J’ai découvert des occupations de traversier, passager, passeur dont le sens me faisait sourciller. J’ai ainsi abouti aux canotiers de Lévis qui ont longuement assuré le premier lien entre les deux rives. Le « terme canotier ne s’appliquait ou à peu près qu’aux hardis gars qui, avec leurs canots maintenaient les communications en hiver entre Québec et Lévis », affirme Pierre-Georges Roy1.

Selon la rumeur familiale, un de ces gaillards de mon ascendance aurait fait passer Louis Riel en route pour les États-Unis, d’où ma perplexité devant l’attribution officielle du métier de passeur à certains d’entre eux.

Le canotier Augustin Labadie, né à Québec en 1753, épouse Marie Magnan en 1776. Ses parents, Pierre, tonnelier, et Marie-Louise Gervais résident à Québec, mais ceux de son épouse sont de récents résidents de Pointe-Lévy 2. Augustin descend du Saintongeais François Labadie et de Jeanne Hébert, fille de pionniers normands, recensés dans la seigneurie de Dombourg (Neuville) en 16813. Augustin est le premier de sa lignée à s’installer à Lévis et à s’y enrichir « de tous les commerces et de toutes les industries du passager4, dans un endroit fréquenté par les voyageurs »5.

L’origine de ces « commerces » et « industries » remonte à l’époque de la Nouvelle-France alors que le Saint-Laurent est en quelque sorte l’autoroute des pionniers, le bien nommé « chemin qui marche » des Autochtones. Les missionnaires, puis les colons de Québec, de la côte de Beaupré ou de l’île d’Orléans viennent alors faire la pêche à l’anguille et s’installent peu à peu dans la seigneurie de Lauzon, sur la côte du Sud, en Etchemin et en Beauce. Ils doivent traverser le fleuve, entre autres pour recevoir des services, faire des affaires et vendre leurs produits à Québec. Les Autochtones sont les premiers à les amener d’une rive à l’autre en canots. Leurs terres donnant sur le fleuve, plusieurs pionniers de la rive sud assurent leur transport par canot ou par barque. Mais peu à peu cela devient le fait de navigateurs de métier. Ces hommes ne font pas que manœuvrer leurs embarcations. Ils fabriquent aussi, à même de très gros et très longs troncs d’arbre évidés et renforcés de métal, leurs canots-pirogues capables de résister aux imposantes glaces de l’hiver sur le Saint-Laurent.

La pointe de Lévy devient ainsi, au cours du 18e et du 19e siècles, le principal lieu de passage de voyageurs de plus en plus nombreux à faire la traversée à bord de ces canots bien particuliers. Nulle part dans les actes je n'ai vu le terme de canotier. Ce sont les historiens de Lévis qui l’utilisent, comme la population locale et les hommes du métier, aussi appelés passeurs ou traversiers.

Les mauvaises conditions météorologiques, surtout l’hiver, amènent les navigateurs à accueillir dans leur cabane, maison ou auberge, des gens en attente de traverser. Certains deviennent ainsi passagers ou aubergistes6.

Auberge d’Augustin Labadie, vers 1870

Auberge d’Augustin Labadie, vers 18707

Augustin Labadie commence comme aubergiste chez son beau-père Michel Magnan, dans le secteur des canotiers. Plus tard, sa propre auberge, au pied de la côte qui porte son nom8, devient célèbre parce que des artistes l’illustrent et que son propriétaire, surnommé le « canotier lettré » tient un journal relatant les conditions météorologiques et les incidents marquant son quotidien9. Il laisse ainsi des traces rendues indélébiles par les historiens de Lévis10, traces suivies par deux autres générations Labadie, jusqu’à ce que les steamers détrônent leurs canots.

Le fils aîné d’Augustin, mon ancêtre Pierre-Augustin, a porté tous les vocables du métier. Il est navigateur dans l’acte de son premier mariage avec Marie-Louise Bégin en 1804, dans les actes de baptême de leurs trois enfants, ainsi que dans l’acte de son second mariage avec Marie-Anne Levasseur en 1814. Traversier au baptême de son fils Édouard en 1822 et aubergiste au mariage de ce dernier, il est passager dans l’acte de sépulture de sa deuxième épouse en 185811. Les deux autres fils d’Augustin exercent le métier de leur père : Pierre-Olivier et Joseph, respectivement dits navigateur et traversier dans les actes de leurs mariages et ceux du baptême de leurs enfants. Deux filles d’Augustin épousent des gens du métier : Marie-Louise, un aubergiste, et Louise, un traversier12.

Pas étonnant donc que son petit-fils Édouard ait ramé dans les mêmes eaux. On retrouve ce dernier, passager dans son acte de mariage avec Angélique Samson en 1847, et navigateur dans celui de sa fille Élise avec le commis des douanes Narcisse Belleau, mes arrière-grands-parents, en 188313

Le couple d’Élise et Narcisse donne naissance à deux enfants, dont ma grand-mère Jeannette qui s’unira à un autre descendant de canotiers, Joseph-Étienne Dussault. Édouard Labadie est témoin de sa petite-fille, dont le père est alors décédé.

Chez les Dussault, la navigation est une affaire qui remonte jusqu’au pionnier, Élie Dussault dit Lafleur, matelot, baptisé au temple calviniste de la Villeneuve, à La Rochelle14. Élie épouse en 1663 une femme expérimentée en canotage, Euphrosine dite Madeleine Nicolet, fille d’une Nipissing et de l’explorateur et truchement Jean Nicolet. Le couple s’établit d’abord à l’île d’Orléans et y cultive la terre auparavant concédée à Jean Leblanc15, premier mari de Madeleine. Élie le matelot continue néanmoins de naviguer. Deux de ses trois fils sont aussi navigateurs, dont mon ancêtre Jean-François, premier de la lignée à s’établir à Lévis, dans le secteur actuel de Saint-David où une rue sur la terre ancestrale porte son patronyme16. Les trois générations suivantes semblent surtout se consacrer à l’agriculture, mais la fibre marine ne se rompt pas et, au 19e siècle, on voit apparaître des canotiers parmi les descendants.

Dans une liste de canotiers de Lévis en 186317se trouvent Magloire Dussault, son fils Étienne, mon arrière-grand-père, ainsi que Georges Dussault, probablement son neveu. Magloire, fils du cultivateur et journalier, Joseph, est d’abord journalier comme son père, selon les actes de son premier mariage et des baptêmes de ses premiers enfants, de 1834 à 1843. À partir de 1845, les actes le disent plutôt arrimeur. À son deuxième mariage en 1865, il est à nouveau journalier18. Qu’il soit arrimeur n’a rien d’exceptionnel. Les canotiers, surtout occupés en hiver, complètent souvent leurs revenus en été comme ouvriers de bord ou arrimeurs assurant le chargement et le déchargement des bateaux. Incidemment, Magloire épouse en premières noces Adélaïde Duquesnay, fille d’un marin, Nicolas, immigrant français alors jardinier d’un riche anglophone de Lévis. Adélaïde savait-elle que son père avait déjà femme et enfants en France lorsqu’il a épousé sa mère Marie Deraby à Arichat, Nouvelle-Écosse19 ?

Magloire et Adélaïde habiteraient près du chantier Russell, dans l’anse du même nom, à l’ouest de la traverse actuelle, quand naît leur fils Étienne en 1841. Selon Pierre-Georges Roy, Étienne « était né dans ce chantier qu’il ne voulut quitter que pour aller au cimetière Mont-Marie 20.». L’historien ne cache pas son admiration pour celui qu’il a « vu simple canotier et qui décéda un des grands entrepreneurs de la région de Québec21 ». Étienne Dussault est instruit au collège de Lévis et parlerait un excellent français, ce qui ne l’empêche pas de travailler d’abord comme canotier en hiver et ouvrier de bord ou arrimeur en été.

Avec la fin du 19e siècle vient la disparition des navires à voiles, remplacés par les steamers pour le transport du bois des chantiers vers l’Angleterre. Le bois laissant place au métal pour la construction des navires anglais, comme bien d’autres, mon arrière-grand-père doit changer de métier, mais il reste près de l’eau. En 1896, avec son associé, Ludger Lemieux, il se lance dans la construction de quais et autres bassins de carénage. Avec ses fils, il poursuit dans celle de quais en eau profonde et fait aussi du dragage, dont celui du bassin Louise à Québec. Il construit ensuite des aqueducs municipaux avec un autre associé, puis le prolongement d’une voie ferrée, dernier contrat avant sa mort en 190922. Le petit canotier d’origine laisse alors un important héritage.

Mon grand-père, Joseph-Étienne, est le fils aîné d’Étienne et de sa deuxième épouse, Camille Nadeau. Profitant de l’aisance matérielle acquise par son père, il devient médecin, épouse ma grand-mère Jeannette Belleau en juillet 1908 et part avec elle en voyage de noces à Paris où il se spécialise en pédiatrie, par la même occasion. Mais ce sont plutôt les chantiers de son père qui lui permettent de gagner sa vie avec ses frères. Le krach boursier de 1929 et la grande dépression entrainent un revers de fortune et mettent fin aux occupations navales des Dussault.

L’histoire parle peu des femmes de tous ces « hardis gars ». Elle rapporte cependant qu’elles « suppléaient de temps à autre à leurs maris » et « qu’une fois l’aviron en main, elles guidaient les petits canots d’alors avec autant d’habileté que leurs époux »23. Ces situations se présenteraient surtout en été quand les hommes s’occupent aussi des récoltes et de la pêche de l’anguille. Le silence plane cependant sur les tâches quotidiennes de ces femmes qui, en plus des nombreuses maternités, maladies et deuils d’enfants, prennent soin des bêtes et des potagers, et entretiennent des maisons-auberges où logent, en plus de leur propre famille, des voyageurs en attente de traverser le fleuve. Une vie de lourd labeur dans l’inquiétude de voir pères, maris, frères ou fils s’aventurer sur des glaces instables dans le grand vent s’engouffrant entre les deux rives du Saint-Laurent!

Vaillants ancêtres, j’ai découvert votre métier avec admiration. Mais aucun indice de la présence de Louis Riel dans vos canots et vos auberges. Elle est néanmoins plausible et je n’ai pas écrit mon dernier mot…

 


1. Pierre-Georges Roy, La traverse entre Québec et Lévis, 1942. Local Histories Collection, Libraries and Cultural Resources Digital Collections, University of Calgary. [En ligne]

2. Fonds Drouin, Généalogie Québec. [En ligne]

3. Jean-Guy Senécal, Recensement de 1681 en Nouvelle-France, d’après Benjamin Sulte, Histoire des Canadiens-Français, vol. V, chapitre IV. [En ligne]

4. D’où la Côte du Passage, seule voie de « passage » vers le fleuve, au début du 19e siècle. Commission de toponymie du Québec, Côte du Passage. [En ligne]

5. Joseph-Edmond Roy, Histoire de la seigneurie de Lauzon, vol. 3, p. 232, 1900, Institut canadien des micro reproductions historiques. [En ligne]

6. Sources de cet aperçu historique : Joseph-Edmond Roy, Op.cit.,  Pierre-Georges Roy, Op. cit. et David Gagné, Le secteur de la Traverse. Ville de Lévis, Service du patrimoine et soutien à l’urbanisme, Janvier 2013. 49 p. [En ligne]

7. Alexander Henderson dans David Gagné, Op.cit

8. Commission de toponymie du Québec, Côte Labadie [En ligne]

9. Joseph-Edmond Roy, Histoire de la seigneurie de Lauzon, vol.4, 1904. BAnQ [En ligne]

10. David Gagné, Op.cit.

11. Fonds Drouin, Op.cit.

12. Ibid.

13. Ibid.

14. Fédération québécoise des sociétés de généalogie, Fichier Origine [En ligne]

15. Fondation François-Lamy, Fiche « Dussault dit Lafleur », Sainte-Famille, île d’Orléans, 2020.

16. Commission de toponymie du Québec. Rue Dussault. [En ligne]

17. Pierre-Georges Roy, Op.cit. p. 65-66.

18. Informations sur les actes : Fonds Drouin, Op.cit.

19. Martine Bérubé, « Nicolas Duqueney, de Saint-Pair-sur-Mer à la Pointe De Lévy», L’Ancêtre, vol.50, no 345, 2024, p.104-108.

20. Pierre-Georges Roy, Profils lévisiens, vol 2, 1948, p.255. Local Histories Collection, Libraries and Cultural Resources Digital Collections, University of Calgary. [En ligne]

21. Ibid.

22. Ibid.

23. Philippe Aubert de Gaspé, cité par Pierre-Georges Roy, La traverse entre Québec et Lévis, Op.cit. p.46

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