Maison McKinnon en cours de restauration en décembre 2020, Montmagny, QC. Photo gracieuseté de Ewen Booth
Paul Côté, aubergiste
de Montmagny au Bic
Suzanne Lesage, GFA
Société de Généalogie de l'Outaouais
La généalogie pour moi est un peu comme un travail de détective, sauf que mes suspects sont mes ancêtres. Après avoir consigné naissances, mariages et décès, je voulais savoir où ils vivaient et ce qu'ils faisaient. Cécile Côté, ma grand-mère paternelle, venait du Bic, « dans le Bas du fleuve ». Je l'ai appris en questionnant ma mère sur une photo de moi, mes frères et des cousins, prise lorsque j'avais environ un an. « C'est à Ste-Luce, dans le Bas du fleuve, on avait loué un chalet pour les vacances. C'est à cause de grand-maman Lesage, elle venait du Bic ». Ça ne me disait rien du tout, car bien que je sois née à Québec, notre famille a déménagé dans l'Outaouais, à Hull, maintenant Gatineau, quand j'avais deux ans. Nous n'y étions jamais allés, car il semblait que personne de la famille n'y habitait.
Comme beaucoup de généalogistes, bien que j'en aie eu l'intérêt, ce n'est qu'à ma retraite que j'ai pu m'y consacrer plus intensément. Ma grand-mère Lesage avait consigné quelques notes sur ses parents, informations qu'il me fallait valider. Son père, Louis-Napoléon Côté, était bien né au Bic en 1845 en et avait épousé Zélie Miville-Deschênes à Matane en 1871. Ses grands-parents Isidore Côté et Geneviève Lavoie s'étaient mariés à Rimouski en 1835, mais ensuite, je suis surprise d'apprendre qu'Isidore est né à Montmagny en 1811, de Paul et Françoise Talbot. C'est le cas de tous ses frères et sœurs, la dernière étant née en 1818. Les trois enfants qui se sont mariés, l'ont tous fait à Rimouski : Françoise en 1827, Isidore en 1835 et Paul en 1842.
Ce sont donc Paul et Françoise qui ont déménagé de Montmagny à Rimouski. On parle 240 km par l'autoroute de nos jours. Ça prenait une bonne raison ! Dans l'acte de mariage de Paul Côté et Françoise Talon dit Gervais le 15 avril 1806 à Montmagny, paroisse St-Thomas, on lit que Paul est « cultivateur de Saint-Pierre». On apprend aussi que ses parents, Jean Baptiste Côté et Marianne Blouin, sont tous les deux décédés et que « Michel Blais, oncle et tuteur » est parmi les témoins. C'est au baptême d'Emmelie le 5 janvier 1810, le curé écrit pour la première fois que Paul est « aubergiste ». Il me faut donc trouver quand Paul est passé chez le notaire pour acquérir son auberge.
Paul Côté achète l'auberge le 23 avril 1809 de la succession de Samuel Holmes1. À ce moment il est dit cultivateur demeurant à Saint-Pierre, Seigneurie de la Rivière-Du-Sud. Le terrain est décrit comme suit par le notaire:
«... un terrain ou emplacement sis ou situé à la dite paroisse de Saint Thomas première concession du fleuve St Laurent, près de l’église de la dite paroisse joignant un côté au sud, partie, aux terrains de sieur joseph Robitaille marchand et John Becker dit Blondin par le nord, au chemin de Sa majesté par le sud-ouest, au terrain de charles françois & par le nord-est, à celui du sieur joseph Bernier menuisier, avec la maison étable et autres bâtisses dessus construites circonstances dépendances tel que tout peut être actuellement…»
Le testament de Paul Côté rédigé le 19 novembre 1855 devant le notaire St-Amour nomme sa fille Françoise Chantale (épouse Gagnier) et ses fils Isidore et Paul, mais donne peu de détails sur la propriété du Bic. Curieusement, c'est dans un livre ancien2 qui relate l'histoire de la paroisse Ste-Cécile du Bic, qu'on en apprend plus sur les transactions qui ont mené à l'acquisition par Paul Côté de la concession #1 de la Seigneurie en échange de l'auberge de Montmagny.
« C'est que la Pointe du Vieux-Bic fut la première en culture ... et que Jean-Pierre Arseneau y construisit en 1810, la seule habitation de cette époque reculée, qui subsiste encore aujourd'hui: "la Centenaire".» Le «aujourd'hui » fait bien sûr référence à 19253. On peut trouver une photo de la maison acquise par Paul Côté dans un recueil récent de photographies4.
On y apprend qu'elle fait partie de celles qui avaient été utilisées pour illustrer les livres de l'Abbé Michaud.
C'est avec une certaine émotion que j'ai trouvé la même photo dans les souvenirs de ma grand-mère, sous format carte postale avec l'inscription au verso :
« Cousine Alice,
Une vue de la maison a la Pointe où vous êtes né
Amitiés affectueux
de Cousin
Napoleon Mercier
..ll River Dec 22/21 ». La carte postale en provenance de Fall River MA, a été coupée, sans doute par un collectionneur de timbres. Alice était une soeur ainée de ma grand-mère.
Maison qui avait été l'auberge de Paul Côté au Bic et où est née ma grand-mère Cécile Côté |
Et que possédait alors notre aubergiste ? Si le testament ne donnait pas de détails, une donation officielle de Paul à son fils Isidore, à l'aube de son mariage en 1835, devant le notaire Antoine Bernier 5 nous éclaire:
« ... trois chevaux, cinq vaches à lait, deux boeufs, deux veaux hivernés, quinze moutons, deux cochons hivernées, une charue garnie avec ses rouelles a traits fin, deux herses, deux charrettes avec leurs roues, une petite charrette avec ses roues, une cariole avec des menoirs et chaines, robaille mors & cousin, deux traines avec leurs menoires & chaines, deux harnais coliers , bride et [mot illisible] deux pioches, deux haches une pelle de fer une scie de travers, une egouine, une meule a eguises avec sa monture, deux terrieres un [mot illisible] avec ses balèses & ses poids, un demi minot agé par le clerc du marché, un pallot de fer tuyau & cendrier de trente trois pouces de long, une armoire, une huche, une table, six chaises, deux cale[...]cuir, cinq peaux moutons & deux peaux de veau tannés, une plane, deux fer a flasquer, un grand chodron a sucre, un chodron a soupe, une bombe, une poële a frire, un lit garni hors les rideaux, une paire de drap de flanelle, une courte pointe de petite etoffe, trois douzaine de plats fer blanc, une douzaine assiete fayence, trois plats faience, une douzaine cuillleres d'acier, une douzaine fourchettes, une douzaine couteaux de table, deux nappes, deux essuis-mains, douzaine essuiemains toile, dix sacs de toiles, deux chandelliers...»
Cette transcription présente un beau défi pour la paléographe amatrice que je suis. J'en retire quand même que posséder une douzaine de couverts suffisait pour tenir auberge. Et seulement six chaises ? Les photos anciennes nous montrent que nos ancêtres s'assoyaient sur des bancs de chaque côté de la table. On peut donc supposer que les chaises étaient pour les convives payants. Les ustensiles n'étaient pas en argent, mais en fer. Ce n'est donc pas une auberge de luxe. De plus, il semble qu'il fallait quand même être un peu cultivateur et avoir ses propres vaches à lait et cochons.
Alors, je sais maintenant quand, où et comment, mais pourquoi déménager au Bic, surtout quand on sait que la propriété avait fait l'objet d'une saisie par le Sherif6 ?
En ce temps-là comme aujourd'hui, les navires étrangers dans le fleuve St-Laurent devaient être pilotés par des navigateurs spécialisés, connaissant bien le cours du fleuve et ses caprices. Or les îles du Bic servaient d'endroit d'embarquement des pilotes. S'ils ne résidaient pas dans la région, ils devaient s'y loger temporairement. Pour un aubergiste, cela assurait une clientèle régulière. En 1818, il semble que de plus en plus de pilotes élisent domicile au Bic7, mais la beauté naturelle du lieu attire les touristes anglais, dont plusieurs se feront bâtir des résidences secondaires à la pointe qu'on appelait communément « La pointe à Côté » et qui est devenue « La pointe aux Anglais ».
Il semble qu'Isidore n'ait pas continué comme aubergiste, car on le dit "cultivateur" déjà au baptême de son aînée Philomène en 1838 et aux recensements de 1851 et de 18718.
La maison n'existe plus aujourd'hui. Et celle de Montmagny ? J'ai décidé de fouiller plus avant ses origines.
Les mots « Montmagny » et « auberge » figuraient déjà dans mes dossiers de recherches, toujours parmi les ancêtres de Cécile Côté, mais cette fois dans la lignée matrilinéaire de sa grand-mère Geneviève Lavoie, épouse d'Isidore Côté. Cette lignée mène à Geneviève McKinnon, fille de Laughlin McKinnon et de Christine MacDonald, née et baptisée le 10 octobre 1773 à Montmagny, paroisse St-Thomas. Ils étaient venus de l'île de Eigg en Écosse, via l'île St-Jean (devenue la province de l'Île-du-Prince-Édouard) grâce à Donald McKinnon, frère de Laughlin, ancien soldat des Highlanders qui avait combattu du côté des vainqueurs à la bataille des Plaines d'Abraham en 1759. Beaucoup de ces soldats sont restés au pays et son devenus aubergistes.
Je me suis demandé si l'auberge qui avait appartenu à Paul Côté entre 1809 et 1818 pouvait être la même. Contrairement à celle du Bic, cette maison existe encore et de plus est en cours de restauration depuis plusieurs années par ses propriétaires, Kathleen McKen et son conjoint Ewen Booth. McKen est une déformation de McKinnon et Kathleen a un ancêtre soldat s'appelant aussi Donald McKinnon, mais pas le même que le mien ! Les nouveaux propriétaires ne s'en sont aperçu que quelques années plus tard et ont décidé de garder la maison quand même et de la restaurer. Ils ont voulu en retracer l'historique et j'ai pu y contribuer partiellement en partageant le résultat des recherches que j'avais faites pour Paul Côté. J'ai eu le plaisir de la visiter. La Maison McKinnon fait maintenant partie du patrimoine culturel de Montmagny. Pour plus de détails et photos, on trouve sur le web un article tiré de La Lucarne – Printemps 2022 (Vol XLIII, numéro 2)9. Ils m'ont donné la permission de partager une photo prise en décembre 2020 montrant les travaux extérieurs en cours.
La maison n'a pas toujours été une auberge, mais ses deux entrées distinctes sont très utiles pour cet usage. Des investigations récentes indiquent que la maison originale (section de droite) daterait de 1690 et serait de construction française et que la partie de gauche ait été rajoutée par Donald McKinnon après son acquisition en 177010. Les sources notariées portent sur les transactions immobilières et ne parlent pas de l'utilisation du bâtiment.
Que fallait-il pour être aubergiste ?11 En fait, ça dépendait si vous demeuriez à Québec, à Montréal ou à la campagne. Le permis était surtout relié à la possibilité de servir de l'alcool. En milieu rural, dont Montmagny et Le Bic faisaient naturellement partie, il fallait pouvoir accommoder des voyageurs : au minimum deux lits de libres et de la place à l'écurie pour les chevaux.
1. Acte de vente daté du 23 avril 1809 chez le notaire Jean-Charles Létourneau sur FamilySearch.org Transcription de l'acte par l'auteur.
2. « Le Bic, les étapes d'une paroisse, première partie, au temps des découvertes et sous la tenure seigneuriale » par l'Abbé Joseph D. Michaud, imprimé à Québec en 1925 chez Ernest Tremblay.
3. Généalogie Québec, Le LAFRANCE. Baptême de Joseph Odilon Guay. Consulté le 29 août 2024.
4. BAC, Recensements du Canada de 1871 et de 1881, district de Lévis, sous-district Quartier Notre-Dame.
5. BAC, Recensement de 1891, district de Lévis, Quartier Notre-Dame.
6. BAnQ, Registres de l’état civil du Québec, Paroisse Notre-Dame-de-la-Victoire, Lévis, Sépulture de Nazaire Guay, 14 janvier 1898.
7. « L’indicateur alphabétique de Lévis », Annuaire de la ville de Québec, 1896-1897, BAnQ, https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/3691349, consulté le 26 août 2024.
8. BAC, Recensement de 1911, district de Lévis, Quartier Notre-Dame.
9. BAC, Recensement de 1911, district de Lévis, Quartier Notre-Dame ; BAnQ, Registres de l’état civil du Québec, Paroisse Notre-Dame-de-la-Victoire, Lévis.
10. « L’annuaire des rues de Lévis », Annuaire de la ville de Québec, 1912-1913, BAnQ, https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/3691545, consulté le 26 août 2024.
11. Corriveau, Claude. Les voitures à chevaux au Québec, Sillery : Septentrion, 1991, p.62.