Les maisons du phare de L’île-Verte
Que le phare vous mène à bon port !
Robert Hambelton
Né en 1766 au Royaume-Uni, Charles Hambelton a, comme tant d’autres jeunes Européens, répondu à l’appel de l’aventure et au rêve d’une vie meilleure. Il est mon premier ancêtre à être venu s’établir en Nouvelle-France.
Il n’a pas encore 30 ans lorsqu’il embarque pour la grande traversée vers le Nouveau Monde. Établi à Québec, il ne tarde pas à trouver l’amour et se marie en 1795 avec Euphrosine Rollet à la Metropolitain Church Anglican de Québec. Mais au terme de 12 ans d’amour, Euphrosine meurt de la varicelle, laissant Charles seul avec cinq jeunes enfants à élever1.
Or, Charles est un homme débrouillard et aventurier, qui a occupé plusieurs métiers, notamment marin, voyageur des ports et cordier, mais il n’a pas encore trouvé un emploi stable qui lui permet d’assurer la sécurité financière de son foyer et de sa famille.
La nouvelle qui allait changer le cours de sa vie arrive en avril 1807 : Charles Hambelton entend parler d’une offre d’emploi de gardien de phare, publiée par la corporation de la Maison de la Trinité de Québec.
À l’époque, la navigation sur le Saint-Laurent était tout aussi dangereuse que vitale pour la population du Québec. Les navires arrivaient chargés de denrées précieuses et de marchandises venues d’outre-mer. Mais de nombreux navires s’échouaient en cours de route, en proie aux courants impétueux. Avec le mandat de sécuriser la navigation sur le fleuve, la corporation de la Maison de la Trinité de Québec avait décidé de construire un phare et avait choisi l’île Verte, au large de Québec, pour l’établir. Au printemps 1806, le surintendant des pilotes Augustin Jérôme Raby, accompagné de François Boucher, maître du havre, s’était rendu à l’île Verte à bord de la goélette Caldwell pour déterminer l’emplacement de la « tour à feu ». À leur arrivée à la Pointe-à-Michaud, ils avaient planté un écriteau sur lequel était inscrit : « This spot is pitched on by Government for erection of light-house ». Trente acres de terrain avaient été achetés au propriétaire Peter Fraser au coût de 150 livres pour y construire le phare. C’était le premier geste concret de la Maison de la Trinité pour doter le fleuve Saint-Laurent d’une infrastructure de signalisation maritime 2.
Pour Charles, c’est l’opportunité dont il rêvait. Lui qui connait si bien le fleuve et la navigation pourrait cette fois-ci venir en aide à tous ceux qui bravent les dangers du fleuve. Il deviendrait un garant de sécurité pour ceux qui, comme lui, tentent l’aventure sur l’eau. À sa famille, il pourrait désormais offrir la sécurité d’un emploi stable et respecté.
Il écrit immédiatement à la Maison de la Trinité en exposant les motifs et les qualités faisant de lui le meilleur candidat pour être gardien du phare de l’île Verte. Il fait remarquer que nul ne pouvait être plus sensible aux dangers que présente un phare mal tenu qu’un navigateur.
Il prend sa plume et écrit à tous les amis et ses contacts qu’il s’est faits depuis son arrivée à Québec pour leur demander de l’aider dans sa démarche. La même semaine, la Maison de la Trinité reçoit une lettre signée par vingt-huit commerçants et navigateurs influents de Québec recommandant Charles Hambelton au poste de gardien de phare. Parmi les signataires figure John Richardson, inspecteur général des phares pour la corporation de la Maison de la Trinité.
Le 27 avril 1808, Charles reçoit la confirmation de la Maison de la Trinité qu’il est engagé comme premier gardien du premier phare de l’estuaire du Saint-Laurent.
C’est ainsi qu’une nouvelle vie commence pour Charles !
La construction du phare dure deux années complètes. De plan circulaire, la tour de pierre fera 15 pieds de diamètre et 42 pieds de hauteur. Avec sa coupole de 18 pieds, le phare fait 60 pieds de haut. Au sommet, une lanterne de cuivre polygonale, fabriquée à Londres, sera installée sur la coupole au toit arrondi. En effet, la corporation commande auprès de la société londonienne Brickwood & Daniels la fabrication du système d’éclairage catoptrique. Celui-ci est fixe, sans lentille ni système de rotation, et composé de 13 lampes orientées vers l’aval du fleuve. Chacune des lampes est munie d’un réservoir contenant de l’huile de baleine, de marsouin, ou parfois de phoque, pour alimenter les mèches en coton. Chaque lampe est dotée d’un réflecteur en miroir concave 3.
Entre temps, Charles épouse en secondes noces Agathe Pépin à la Cathédrale anglicane, mais celle-ci décède le 27 janvier 1809 des suites de son deuxième accouchement, sans laisser de descendance. Il se marie une troisième fois le 5 mars 1809 avec Charlotte Angélique Rollet, cousine de sa première épouse, dont il aura deux autres enfants.
À la mi-juillet 1809, le système d’éclairage arrive à Québec. C’est Charles lui-même qui assure le transport de cette précieuse cargaison jusqu’à l’île Verte et supervise son installation dans la lanterne.
Pour loger le nouveau gardien et sa famille, l’administration de la Maison de la Trinité lui avait proposé d’habiter dans le phare. Mais cela ne lui convenait pas du tout ! Non seulement l’espace n’était pas adapté pour une famille nombreuse, mais il était aussi encombré par le matériel nécessaire au phare et les barils d’huile de baleine.
Charles tient tête à la Maison de la Trinité et insiste pour recevoir les matériaux pour construire une modeste maison en planche de bois de 21 pieds sur 25 pieds, au lieu du 15 pieds de diamètre de la tour de pierre. Sa maison est achevée en 1809, quelques mois seulement avant la fin de la construction du phare.
Avec sa famille et sa nouvelle épouse, il peut enfin déménager sur la belle île Verte. Quel changement de décor !
Le mercredi 13 septembre 1809, au coucher du soleil, Charles allume pour la première fois la lumière du premier phare construit sur le fleuve Saint-Laurent.
Pendant des années, les journées se succèdent au rythme du fleuve et des tâches quotidiennes.
Le gardien du phare a une lourde responsabilité : toute défaillance est synonyme de danger pour les marins sur le fleuve. Le gardien a l’obligation de demeurer sobre en tout temps et d’être assidu pour veiller sur la lumière du coucher du soleil jusqu’à l’aube, tous les jours du 15 avril au 15 décembre, lorsque les glaces s’emparent du fleuve et figent la navigation.
Charles doit entretenir tout ce qui concerne la visibilité de la lumière : nettoyer les fenêtres où ces lampes sont installées, nettoyer et polir les réflecteurs des lampes, nettoyer les mèches des lampes afin qu’elles ne fument pas, allumer et éteindre le feu des lampes, réparer au besoin l’équipement et tenir un inventaire afin de commander tout ce qui était nécessaire pour que la lumière brille la nuit. Charles Hambelton doit également cultiver la terre afin de répondre aux besoins alimentaires de sa famille 4.
Ses journées sont occupées ! Charles demeure fidèle à ce poste pendant 18 ans, de 1809 jusqu’à son décès en 1827. Pendant tout ce temps, la lumière brille dans la nuit grâce à ses soins, permettant aux navires d’éviter les dangereux récifs du fleuve.
Après son décès, son épouse demande officiellement à la Maison de la Trinité l’autorisation de pouvoir continuer d’opérer le phare avec l’aide de ses fils, et devenir ainsi la première gardienne de phare de l’histoire du Québec. Malheureusement, cette demande lui sera refusée et elle s’installera avec ses enfants à Cacouna, dans le Bas-Saint-Laurent, où elle poursuivra sa vie.5
Au fil des siècles, de nombreux autres phares seront érigés le long du fleuve pour aider les pilotes à parvenir à bon port.
Le phare de l’île Verte, le plus ancien phare de l’estuaire du Saint-Laurent, est encore en activité aujourd’hui et peut être visité. Le métier de gardien de phare existe encore, mais il a beaucoup changé depuis l’époque de la lampe à l’huile avec l’arrivée de l’électricité, de la radio et du GPS. Quant à Charles Hambelton, ses nombreux descendants se sont multipliés dans la région de Québec et du Bas-Saint-Laurent.
1. Actes de mariage, de décès et de baptême de Charles Hambelton et ses enfants : Québec/Fonds Drouin/QC/Non-Cath/Québec (Anglican)/Québec (Metropolitan Church)/1790/1795/© Fonds Drouin
2. Tardif, Jean-Claude : Le grand livre d’or des Lindsay, 1936-1964 : extraits des registres du phare de l’île Verte — Éditions GID, 2007
3. Cyr, Lise L’Île Verte : le fleuve, une île et son phare — Éditions GID, 2009
4. Lafrenière, Normand : Gardien de phare dans le Saint-Laurent : un métier disparu — Éditeur Dundurn Press, 1996.
5. Le minutiers de la Maison Trinité de Québec, conservés aux archives du port de Québec.
Gracieuseté de M. Jean Cloutier.