Mouvements migratoires de mes ancêtres

Textes publiés lors de la 1re édition du Concours "Mes ancêtres au bout de ma plume !" lors de la SNG 2023.
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Le 'Lake Champlain' | https://archives.monastere.ca/archive/le-steamer-lake-champlain-494

Alexis Labeaume, de Paris à Roberval

Guylaine Grenier

 

Photo 1 Bateau Amsterdam (document provenant de Ellis Island)

Photo 1 - Bateau Amsterdam (document provenant de Ellis Island)

En 1897, plusieurs propagandes ont cours auprès des citoyens français pour coloniser le Canada et plus particulièrement les provinces de l’ouest1.

Alexis Labeaume, anciennement petit employé du département des estampes à la Bibliothèque nationale de Paris, qui est attiré par les grands espaces et le goût de refaire sa vie, décide de faire le grand saut pour s’établir au Canada. Parisien de naissance, il est révolté par les agissements du gouvernement qui veut laïciser les institutions. Depuis quelque temps, la famille s’est installée à la campagne, plus précisément à Évry-Petit-Bourg, en banlieue de Versailles. Alexis se prépare à sa future vie en cultivant un petit jardin attenant à la maison et Blanche est responsable du bureau de poste dans le village d’Angerville-L’Orcher.

  Photo 2 Document provenant des archives de Ellis Island

 Photo 2 - Document provenant des archives de Ellis Island

Pendant cette période, Alexis entretient une correspondance régulière avec l’Évêché de Saint-Albert en Alberta. Il est aussi en communication avec un certain monsieur Bodard, agent colonisateur en France.

Alexis se décide enfin et transite par New York le 10 mai 1897 par le bateau Amsterdam en provenance de Rotterdam, Hollande. D’ailleurs, on retrouve sa trace à Ellis Island. Il est accompagné de sa femme et de leurs quatre enfants; Julien 13 ans, Geneviève 12 ans, Jeanne 10 ans et Jean Baptiste 3 ans. Il est âgé de 43 ans et Blanche a 33 ans. Alexis, enfant unique, laisse derrière lui ses parents quant à Blanche Bermond, son épouse, elle est orpheline de parents et sans nouvelle de son frère Charles. Ils ont donc le profil « idéal » pour devenir « colon » sur une terre au Canada.

Photo 3 Liste des passagers (document provenant de Ellis Island) Photo 4 Document provenant des archives de Ellis Island

Photo 3 - Liste des passagers (document provenant de Ellis Island)

Photo 4 - Document provenant des archives de Ellis Island

Ils doivent se rendre à Edmonton en Alberta où ils rejoindront la communauté de St-Albert situé à environ une quinzaine de kilomètres. Arrivé sur place, Alexis fait l’acquisition d’une petite ferme qu’il décrit comme suit dans une lettre adressée à monsieur Bodard en date du 8 décembre 1897 :

« Je suis à 9 m de Saint-Albert sur une ferme que j’ai acheté en juin pour 500 francs (…) c’était une bonne affaire. »

Mais cette lettre se veut une demande de rapatriement en France, car il explique que lui et sa famille ont beaucoup de difficultés à s’intégrer dans la communauté de Saint-Albert. Voici un extrait de sa lettre :

« Mais il y a toujours des mais : ma femme a qui cette nouvelle existence plait bien sous d’autres rapports ne peut se consoler de la séparation de nos parents. Elle avait toujours espérer les voir venir et il est certain que cela n’aura pas lieu, leur état de santé étant l’obstacle. De plus de l’argent qui devait nous venir de France est perdu dans une faillite. Je ne puis parvenir à lui remonter le moral et c’est avec une immense regret et après avoir lutter longtemps que je me voi forcer de rompre mes projets. Je viens donc, cher monsieur, vous demander (en secret car je ne veux parler à personne de cette affaire tant que je ne serai pas au jour du départ) de me dire quel prix me coûterait mon retour en France.(…) »

Photo 5 - Page manuscrite journal intime Alexis Labeaume (collection familiale)

Photo 6 - Page manuscrite journal intime Alexis Labeaume (collection familiale)

Dans les faits et selon la « vraie » histoire qui nous est parvenue jusqu’à nos jours, l’achat de la ferme en question a été une déception à plusieurs égards. Premièrement, il semble qu’il y avait de « l’huile sur l’eau » dans le puits qu’ils avaient ce qui rendait l’approvisionnement en eau pratiquement impossible. Ensuite, la langue a été un inconvénient puisqu’ils étaient de langue française et étaient entourés de colons anglais et finalement, étant de confession catholique, ils étaient aussi en présence de protestants, ce qui a fait pencher la balance pour un retour en France. Finalement, la mère d’Alexis, Joséphine Bouchet était de santé précaire et elle a beaucoup insisté pour qu’il revienne auprès d’elle puisqu’elle n’avait que ce fils.

Voici d’ailleurs un extrait de la réponse datée du 2 février 1898 que fit monsieur Bodard à Alexis à la suite de la réception de sa demande d’information :

« Votre lettre m’est arrivée en France au moment où j’arrivais moi-même à Paris et je vous avouerai qu’elle m’a fait rire, car après avoir été si longtemps sous l’impression que vous ne partiriez jamais pour le Canada, une fois partis j’étais loin de soupçonnez que vous seriez découragés en si peu de temps.  Cela ne m’étonne cependant pas, car n’ayant reçu de vous aucune nouvelle, j’en étais venu à conclure que vous ne deviez pas vous plaire et que n’ayant jamais cultivé vous deviez trouver le jeu dur.  Je n’entreprendrai pas de vous démontrer qu’après avoir dépensé tant d’argent pour aller si loin, vous allez faire une folie en revenant et vous retrouver en France dans une position pire qu’en Canada, sans position tous les deux et avec 5 ou 6 000 francs de moins, dépensés en voyages inutiles. C’est votre affaire plus que la mienne mais je ne puis m’empêcher de le déplorer car vous aviez tout ce qu’il fallait pour bien réussir en Canada et on ne pouvait vous reprocher qu’une chose, d’être un colon de ville, c’est-à-dire pas sérieux et vous méritiez certainement l’intérêt que je vous portais personnellement et aurais toujours été heureux d’apprendre votre réussite. Cela ne m’étonnerait pas qu’un jour vous regrettiez d’être revenu en France, j’ai bien des lettres ici pour le prouver mais comme 95 fois sur 100 je prêche dans le désert, je sais d’avance que tout ce que je vous dis est inutile. J’en ai pris mon parti et suis devenu sceptique. (…) »

Le ton de la lettre de monsieur Bodard est teinté de déception et de reproches, mais rien n’y fit et Alexis et sa famille ont vite repris le chemin vers la France.  Selon les états de services d’Alexis à la Bibliothèque nationale de Paris, il aurait été réembauché, mais à la journée et Blanche a été embauché par Postes et télégrammes à Paris à compter du 1er août 1898. Ils sont retournés vivre avec les parents au 7 rue Villars à Paris. 

Malheureusement, la mère d’Alexis, Joséphine Bouchet, décède le 30 juin 1898.  Les rapports sont tendus entre Alexis et son père. Il était beaucoup plus fils à maman que fils à papa. Hippolyte Labeaume refait sa vie dès 1900 avec Catherine Pinot, une femme divorcée. Pour Alexis si croyant et si pieux, cela a dû choquer ses principes et le projet de refaire sa vie au Canada refait surface. 

Les enfants ont vieilli et sûrement qu’Alexis a entendu parler de la colonisation du Québec grâce à une visite qu’a faite le curé Labelle en Europe en 18852. Par ailleurs, les principes religieux d’Alexis sont réconfortés par la fierté catholique dont fait preuve le Québec à cette époque-là. C’est une province française et les publicités pour encourager l’immigration ne sont pas toujours conformes à la réalité. N’empêche, Alexis et Blanche décident de refaire le voyage à nouveau, mais cette fois-ci direction le Québec.

Ils s’embarquent tous à bord du bateau Lake Champlain le 16 avril 1901 avec l’espoir de trouver une vie meilleure. Ils arrivent au Lac-Saint-Jean, à la maison des colons et s’établissent rapidement à Roberval où ils vécurent jusqu’à leur mort. Après leur arrivée, ils eurent 3 autres enfants : Marie, Joséphine et Vincent.

Listes des passagers du Lake Champlain 1865-1922

Photo 7 - Listes des passagers du Lake Champlain 1865-1922 | https://www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/immigration/documents-immigration/listes-passagers/listes-passagers-1865-1922/Pages/item.aspx?IdNumber=3909&

voir aussi : "Canada Passenger Lists, 1881-1922," database with images, FamilySearch (https://familysearch.org/ark:/61903/1:1:2QSR-813 : 23 February 2021), Alexis Labeaume, Apr 1901; citing Immigration, Quebec City, Quebec, Canada, T-479, Library and Archives Canada, Ottawa, Ontario.

Photo 11 (collection familiale)

Photo 11 - (collection familiale)
À gauche : photo de la femme et des enfants d'Alexis Labeaume (Geneviève, Blanche et Jean dans ses bras, Julien, Jeanne et Joséphine Bouchet (la mère d'Alexis). 
À droite : Hippolyte Labeaume (son père) et Rosalie Buffardin (sa grand-mère paternelle)

Photo 12 La famille d’Alexis Labeaume et Blanche Bermond  (rangée du haut de gauche à droite : Xavier Fradet (époux de Geneviève Labeaume), Joséphine Labeaume, Jeanne Labeaume, Jean-Baptiste Labeaume, Marie Labeaume, Julien Labeaume.  (rangée du milieu de gauche à droite : Geneviève Labeaume, Blanche Bermond, Alexis Labeaume, Lumina Dubé (épouse de Julien).   (rangée du bas de gauche à droite : deux premiers garçons Fradet, Vincent Labeaume, trois enfants de Julien et Lumina).

Photo 12 - La famille d’Alexis Labeaume et Blanche Bermond
Rangée du haut de gauche à droite : Xavier Fradet (époux de Geneviève Labeaume), Joséphine Labeaume, Jeanne Labeaume, Jean-Baptiste Labeaume, Marie Labeaume, Julien Labeaume.
Rangée du milieu de gauche à droite : Geneviève Labeaume, Blanche Bermond, Alexis Labeaume, Lumina Dubé (épouse de Julien). 
Rangée du bas de gauche à droite : deux premiers garçons Fradet, Vincent Labeaume, trois enfants de Julien et Lumina.

Photo 13 Pierre tombale de la famille de Alexis Labeaume (collection familiale)

Photo - 13 Pierre tombale de la famille de Alexis Labeaume (collection familiale)

 


1. https://www.museedelhistoire.ca/cmc/exhibitions/hist/advertis/ads2-00f.html

2. https://www.ledevoir.com/societe/640953/la-france-se-souvient-du-quebec-la-tournee-francaise-du-roi-du-nord

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