Mariage de Laurent Bédard et Anne-Marie Fortin (Source : collection personnelle)
Les Bédard de Saint-Prime au Lac-Saint-Jean à Rivière-la-Paix en Alberta
André Grenon
Société de généalogie de l’Outaouais
Le mot Bédard
Le mot Bédard1 serait un dérivé de l’ancien français « bedier, ignorant, stupide ». C’est peut-être un sobriquet2 formé de la racine bed- (= sot, niais). Autre possibilité : personne ventrue (penser à bedaine) ou bedeau.
Les Bédard, des Huguenots
Isaac Bédard, l’ancêtre des Bédard au Canada, a épousé Marie Girard le 20 mars 1644 à La Rochelle, au Temple calviniste de la Villeneuve, en France. Marie était née le 12 février 1623 à La Rochelle et avait été baptisée le 16 février 1623 au Temple calviniste. Ils étaient donc tous deux huguenots. Après avoir abjuré leur religion, les deux finiront leur vie à Charlesbourg au Québec. Marie décède à l’âge de 59 ans après le 17 janvier 1683 et Isaac, né en 1616, décède le 15 janvier 1689 à l’âge de 73 ans.
Les Huguenots
L’édit de Nantes3 avait été promulgué en 1598 par le roi de France Henri IV pour mettre fin aux guerres de religion qui ravageaient le royaume depuis 1562. Cet édit accordait aux protestants des droits religieux, civils et politiques et leur concédait un certain nombre de lieux de refuge.
En 1685, Louis XIV révoqua l’édit de Nantes (édit de Fontainebleau), car, à partir de 1661, il avait instauré une politique visant à convertir les protestants. Les protestants français, héritiers de Luther et Calvin, qu’on appelle les huguenots4, sont alors forcés soit de se convertir au catholicisme, soit de fuir le pays. La révocation a pour conséquence une accélération de l’exil de quelque 200 000 protestants.
Isaac Bédard
Édith Bédard5, sur son excellent site internet, précise qu’avant de s’embarquer sur un des bateaux pour la Nouvelle-France, Isaac et son fils ont dû abjurer leur foi :
Le 2 avril 1660, selon les documents conservés aux Archives départementales de La Rochelle, la famille abjurait le protestantisme parce qu’il était devenu de plus en plus difficile pour les protestants d’exercer leur métier sans subir de représailles et de harcèlements divers, incluant la mort.
Claude Dupras6, aidé par le généalogiste Jean-Jacques Lebeau qui a utilisé les recensements et les actes notariés pour compléter ses recherches, rapporte qu’Isaac Bédard, arrivé avec son fils en 1660, avec ses talents de maître-charpentier, a construit de belles granges, des maisons et même 100 avirons que l’intendant Jean Talon lui a commandés en mai 1666. Dupras précise qu’en 1661 :
Isaac possède déjà un emplacement à la Haute-Ville.[…] Marie [son épouse] traverse l’Atlantique en 1663, semble-t-il, puisque le 12 mai 1664 naît la cadette Marie, à Québec.
Au Canada, ce Bédard a une tête dure. Il ne se laisse pas marcher sur les pieds. Édith Bédard7 précise :
Rapidement, Isaac se querella avec ses voisins. Dans un cas, soit avec Vincent Renaud, Isaac dut payer au plaignant un minot de blé et une journée de travail parce que sa vache avait festoyé dans le pré de Renaud. Dans un autre cas, soit avec Michel Desorcy, un cochon appartenant à Isaac et particulièrement vindicatif avait causé des dommages au pré du plaignant. Le premier avril 1664, Isaac était battu à coup de bâton par Mathieu Hubou, ce dernier accusant l’autre de n’avoir pas tiré son bois8 ni entrepris la construction d’un bâtiment qu’il avait l’obligation de monter.
Les descendants d’Isaac Bédard et Marie Girard
Les descendants d’Isaac Bédard et Marie Girard sont : Louis Bédard et Madeleine Huppé / Bernard Bédard et Marguerite Parent / Joseph Bernard Bédard et Françoise Blondeau / François Bédard et Agathe Labatte / Joseph Bédard et Josephe Parent / Joseph Édouard Bédard et Sophie Roy.
Joseph Édouard Bédard et Sophie Roy
Joseph Édouard Bédard, qui est né le 24 juillet 1823 et a été baptisé à Beauport, est le seul fils de Joseph Bédard et de Josephte Parent qui se rendra à l’âge adulte. Il épousera Marie Sophie Roy le 5 novembre 1844 à Notre-Dame de Québec. Il mourra le 11 mai 1890 à Saint-Louis de Chambord au Lac-Saint-Jean. Marie Sophie Roy était née le 16 décembre 1822 à Saint-Charles de Bellechasse; elle est décédée le 23 juillet 1876 à Beauport.
Dans le recensement de 1861, à Beauport, Édouard Bédard, forgeron, 39 ans, vit avec Sophie Roy, 40 ans, et leurs enfants, dont Félix, âgé de huit ans.
Félix Bédard et Malvina Desmeules
Félix Bédard est un des fils de Joseph Édouard Bédard et de Sophie Roy. Il est né le 20 novembre 1852 à Beauport. Le 29 septembre 1874, il épousait Malvina Desmeules à Saint-Louis de Chambord. C’est là qu’il est mort et a été inhumé le 25 avril 1937. Malvina Desmeules était née en 1849; elle est décédée le 24 août 1925.
En 1871, Félix, âgé de 18 ans, est encore à Beauport avec ses parents, mais dans le recensement de 1881, Félix Bédard, 25 ans et Malvina, 28 ans, sont enregistrés avec leurs enfants à Saint-Louis-de-Métabetchouan.
C’est donc entre 1871 et 1874 que Félix se retrouve au Lac-Saint-Jean, si on assume qu’après son mariage avec Malvina Desmeules, le 29 septembre 1874 à Saint-Louis de Chambord, il est resté à Chambord.
Laurent Bédard et Anne-Marie Fortin
Laurent Bédard est un des fils de Félix Bédard et de Malvina Desmeules. Laurent est né le 19 octobre 1893 et a été baptisé à Saint-Louis de Chambord. Il a épousé Anne Marie Fortin le 10 août 1915 à Saint-Louis de Chambord. Anne Marie Fortin était née le 16 avril 1897.
Le 9 décembre 1916, Laurent Bédard achète à Omer Cayouette le lot 17 du rang 3 de Saint-Prime pour la somme de 7 400 $, dont 2 400 $ payé comptant.
Le nom de Saint-Prime9 avait été donné en « l’honneur de feu M. Prime Girard, deuxième curé de Roberval. Les colons étaient arrivés en 1865 et venaient pour la plupart du comté de Charlevoix, de Château-Richer, de Saint-Michel de Bellechasse, et de Notre-Dame de Beauport. »
En 191910 et 192411, Laurent Bédard de Saint-Prime au Lac-Saint-Jean reçoit un diplôme du Mérite agricole à l’Exposition provinciale de Québec.
Dans le recensement canadien de 1931, on retrouve à Saint-Prime Laurent Bédard, 38 ans, cultivateur en produits laitiers, qui vit avec son épouse Anna Marie, 34 ans, et leurs huit enfants. On les retrouve sur la liste des électeurs de 1935, 1940 et 1945, mais pas en 1949.
Car il y a du brouhaha à l’Union des Cultivateurs Catholiques (UCC) qui encourage des cultivateurs à aller s’établir en Alberta. Les journaux s’en mêlent et sans doute aussi les curés dans leurs sermons : « Il faut peupler l’Alberta avec une présence canadienne-française ». Le journal Le Peuple de Montmagny, du 28 février 1947, en page 1, ajoute : « Nous invitons les jeunes ménages déjà initiés à la vie paisible de la campagne à venir chez nous se tailler de beaux domaines sur des terres d’une énergie agricole extraordinaire. »
Le Progrès du Saguenay du 18 septembre 1947, en page 5, publie un article de presque une page sur Rivière-la-Paix sous le titre « Rivière-la-Paix, royaume aux multiples richesses ».
Le Lingot du Saguenay du 3 octobre 1947, en page 2, contribue aussi à influencer Laurent Bédard :
Un autre groupe de familles du Lac-Saint-Jean quitteront notre région prochainement pour aller prendre possession de terres de colonisation à la Rivière-la-Paix. Le train qui les transportera en Alberta partira de la Station d’Hébertville le 29 septembre.
Après bien des discussions, le 19 octobre 1948, Laurent Bédard vend son terrain du lot 17 du rang 3 de Saint-Prime à Thomas-Louis Garneau, avec livraison immédiate. Il en recevra 9 000 $, dont 1 000 $ payé comptant.
Les fermiers qui partaient en Alberta ne partaient pas les mains vides, comme le précise un article du Progrès du Saguenay du 22 mai 1954, en page 2, où on mentionne que 52 personnes ont quitté le Lac-Saint-Jean pour s’établir en Alberta et qu’il « a fallu six wagons pour le transport des instruments aratoires et des 50 têtes de bétail, dont 25 vaches laitières. »
Laurent apporte avec lui une partie du matériel de sa ferme, car dans l’acte de vente de sa ferme, il se réserve plusieurs articles, dont :
- tout son ménage de maison, sauf le réservoir à eau chaude
- tous ses outils à mains à bois et à fer
- un porc que l’acquéreur nourrira jusqu’à Noël prochain
- une taure de deux ans et demi que l’acquéreur nourrira jusqu’à Noël prochain
- toutes les volailles moins vingt poulettes
- vingt sacs de patates
La vie en Alberta
La ferme vendue, Laurent déménage en Alberta dans la région de Rivière-la-Paix (Peace River), fondée en 1914, à 500 km au nord d’Edmonton. Au recensement de 2006, 6,5% des 6 300 de ses habitants parlaient uniquement le français. En 1950, la population est de 1750.
En 1949, Laurent vit à Joussard, à 165 km au sud de Rivière-la-Paix, avec sa femme et ses enfants, sauf quatre filles qui sont restées au Saguenay. Ils auront fait 4 000 km en train pour s’y rendre. En 1954, ils s’établissent à Morinville, à 50 km d’Edmonton. En 1959, ils déménagent à Edmonton où ils passeront le reste de leur vie.
Figure Éplucheur de pommes de terre (Amazon.ca) |
À l’occasion du 67e anniversaire de leur mariage, on apprend que le couple a gagné leur vie en vendant des « éplucheurs de pommes de terre ». C’est loin de la terre « promise » par le gouvernement ! Cela n’a pas empêché le couple d’avoir eu 14 enfants, 65 petits-enfants et 59 arrière-petits-enfants.
Laurent décède le 3 septembre 1982 et est inhumé au cimetière Holy Cross Cemetery à Saint-Albert en Alberta. Anne-Marie Fortin décède le 3 janvier 1986. Ils vivaient alors dans une nursing home, une maison de retraite avec soins infirmiers à Saint-Albert.
Les autres Bédard en Alberta
En 1950, il y avait déjà des Bédard en Alberta. Selon le recensement de 1921, il y avait en Alberta 41 personnes du nom de Bédard réparties dans six familles.
William Joseph Honoré Bédard, lui, était déjà là en 1896, comme le rapporte le Edmonton Journal du 20 juin 1949, en page 19, dont voici la traduction :
Originaire de Saint-Flavien au Québec, M. Bédard a déménagé à St. Paul au Minnesota avec ses parents M. et Mme F. Bédard à un âge précoce. L’un des premiers prospecteurs d’or d’Edmonton. M. Bédard est venu ici avec son père où, pendant plusieurs années, ils ont cherché de l’or le long de la rivière Saskatchewan. En 1900, la famille fonde les Edmonton Tanneries.
Quant à Joseph Hormidas Bédard, il était né à Marieville le 3 août 1887 et ses parents étaient Joseph Bédard et Célina Benoît. Il était marié avec Isabelle Joséphine Sanderson. Le Edmonton Journal du 30 juin 1951, en page 1, mentionne qu’il s’était établi d’abord à Morinville, en 1908, puis à Millet et à Minburn où il tenait une quincaillerie.
Conclusion
Ce peuplement de l’Alberta par les Canadiens-français a contribué à transmettre dans l'ouest du Canada un héritage culturel lié à la langue française. En 202112, en Alberta, 261 000 personnes parlaient le français, soit 2 % de la population.
En tous les cas, si certains Albertains ont cultivé des patates, d'autres ont aidé à les éplucher !
1. Marc Picard, Dictionnaire des noms de famille du Canada français : anthroponymie et généalogie, 2e édition, Québec, Presses de l’Université Laval, 2019, 467 p., p. 57.
2. www.geneanet.org/nom-de-famille/Bedard.
3. fr.wikipedia.org.
4. Voltaire, Essai sur les mœurs, éd. de 1761, tome III, chap. 129. Le mot huguenot est dérivé du mot dont on appelait les protestants à Genève, les Egnots, du mot Eidgenossen (alliés par serment).
5. edithbedard.ca/57-les-racines-huguenotes-des-bedard.
6. claude.dupras.com/les-genealogies/les-familles-canadiennes-et-quebecoises/les-bedard.
7. edithbedard.ca/54-isaac-bedard-le-premier-de-cordee.
8. Sortir le bois de la forêt et le préparer pour la construction.
9. Pierre-Georges Roy, Saint-Prime. Lac-Saint-Jean Ouest. Histoire de Saint-Prime, dans Bulletin des Recherches historiques, vol IV (1898), p. 225.
10. Le Devoir, 7 juillet 1919, p. 2.
11. Le Bien public, 2 septembre 1924, p.7.
12. lefranco.ab.ca/2022/08/18/situation-francais-alberta-recensement-2021-fcfa-acfa.