Les Richer dit Louveteau d’Amérique, 1695-2023
par Louis Richer, MGA
Société de généalogie de Québec
Un matin de tempête de décembre 1910, Damien Richer, son épouse Eugénie Lépine, leurs enfants attendent à la gare de Glen Robertson, dans l’Est ontarien, le train qui les amène vers leur nouvelle destinée, Coteau-Station, village ferroviaire situé au Québec, à l’ouest de Montréal. Après une absence de deux générations, les Richer reviennent au Québec par et pour le chemin de fer.
Pendant que les garçons s’amusent à se lancer des balles de neige, Damien peut se remémorer le chemin parcouru par sa famille depuis l’arrivée de son premier ancêtre en terre d’Amérique. Il ne se rappelle pas de son prénom mais de son surnom, Louveteau dérivé de Louvetot, hérité de son passage dans les armées du Roi de France. Six générations séparent Damien de son ancêtre.
Première génération
Jacques Héricher ou Ériché au mariage, originaire de Louvetot en Normandie, est débarqué à Québec en 1695 en tant que soldat des Troupes franches de la Marine, gardiens de la paix dans les colonies du Roi. Son service militaire complété, il décide de s’établir en Nouvelle-France.
Sans doute que sa rencontre avec Marie Geoffrion, jeune veuve d’un militaire, l’a encouragé à demeurer dans la colonie naissante. Ils se marient le 7 avril 1698 à Notre-Dame de Montréal. Par la suite, Jacques obtient une concession de terre de la part des Sulpiciens, seigneurs de l’île de Montréal. Celle-ci est située côte Saint-Michel, aujourd’hui rue Jarry.
Jacques et Marie ont eu plusieurs enfants dont trois filles mariées à des fils d’autres familles fondatrices : Marie-Anne à Jean-Baptiste Joly en 1717; Cécile ou Josephe à Pierre Plouffe en 1723 et Marie-Madeleine à François Libersan dit Laviolette en 1730. Puis deux fils ont assuré la pérennité du patronyme devenu Richer au gré des premières générations : Jean-Baptiste et François.
Jean-Baptiste épouse Marie Jarry le 22 janvier 1731 à Montréal. Ils s’établissent dans l’ouest de l’île où leur descendance est toujours présente. La maison Jacques Richer dit Louveteau, située au Cap-Saint-Jacques, rappelle la mémoire de l’un des leurs, vétéran de la Guerre de 1812, membre des Voltigeurs canadiens, vainqueurs de la bataille de la Châteauguay l’année précédente. Puis François, l’ancêtre de Damien.
Les époux Richer, Jacques et Marie, vendent leur terre en 1736 en retour d’une rente viagère annuelle d’une durée de dix ans. Jacques né vers 1664 en France est décédé le 24 décembre 1747 à Saint-Laurent. Marie, née le 25 mars 1672 à Verchères, est morte le 10 mars 1756 à Montréal et inhumée dans le cimetière des Pauvres.
Deuxième génération
François convole avec Marie-Anne Brunet le 18 octobre 1723 à Saint-Laurent. Après avoir bourlingué quelques années dans les environs offrant ses services de faiseur de terre neuve – défricher et rendre la terre propre à l’agriculture - à d’autres habitants, il s’établit à L’Île-Bizard en 1738. Ses tentatives de s’établir plus tôt lui avaient valu ennuis et condamnations pour des créances non payées.
Malgré une famille nombreuse, seuls trois enfants se sont mariés dont Paul, l’ancêtre de Damien. Il faut dire que deux des enfants étaient en démence et pauvre d’esprit. À l’époque, avant l’avènement de l’État-providence, les familles les gardaient. Les nombreuses transactions suivant la transmission du bien paternel prévoyaient que les bénéficiaires devaient traiter Pierre et Marguerite humainement.
Né le 22 octobre 1702, François décède le 26 décembre 1763 à L’Île-Bizard. Marie-Anne, née le 3 septembre 1704, est décédée le 23 octobre 1744 au même endroit. Fait intéressant, la propriété actuelle d’un descendant de Damien fait partie de la terre concédée à François en 1738.
Troisième génération
Paul épouse Cécile Brisebois le 22 mai 1758 à Saint-Laurent. Durant sa vie active, Paul acquiert, par concessions ou achats, des terres en bois debout qu’il revend avec profit. En 1767, les Richer quittent l’île de Montréal pour s’établir en pays de colonisation, dans la seigneurie de la Rivière-du-Chêne.
L’année suivante, Paul est au nombre des 46 habitants qui demandent à l’évêque la construction d’une chapelle. Dix ans plus tard, il récidive en vue de l’érection d’une paroisse : Saint-Eustache est né.
À l’époque, les femmes mariées avaient un statut de mineur, ne pouvant ester en justice sans l’autorisation de leur mari. Lors des transactions légales concernant la succession des parents de Cécile, le notaire note la présence de Paul Louveteau et Cécile Brizebois sa femme qu’il autorise à l’effet des présentes. Il faudra attendre jusqu’aux années 1960 pour que les femmes mariées obtiennent l’égalité juridique avec leurs époux.
Paul et Cécile ont eu neuf enfants dont six se sont mariés, cinq garçons et une fille. Parmi eux, Paul fils, ancêtre de Damien.
Né le 14 août 1735, Paul père est décédé le 23 janvier 1821 à Saint-Eustache. Cécile est née le 20 août 1738 à Saint-Laurent, morte le 5 octobre 1819 et inhumée auprès de son mari.
Quatrième génération
Paul fils épouse Marie Jammes dit Carrière le 19 mai 1783 à Pointe-Claire. Paul marche sur les traces de son père : il achète des terres et les revend avec profit. Dès l’âge de 15 ans, son père lui obtient une première concession à la Rivière-du-Chêne. Puis, sept ans plus tard, en 1783, il prend possession de deux terres dans la seigneurie voisine du lac des Deux-Montagnes au lieu appelé le Grand-Brûlé, future paroisse de Saint-Benoît. D’ailleurs, l’église actuelle est située en partie sur ses terres.
Paul et sa famille demeurent dans une maison d’un étage et demi, en pièce sur pièce, mesurant 24 pieds sur 20. Elle compte quatre fenêtres et une porte d’entrée.
Leur maison est disparue dans l’incendie de Saint-Benoît par les troupes de John Colborne le 14 décembre 1837, le lendemain de la bataille de Saint-Eustache où les Patriotes de Jean-Olivier Chénier sont dispersés par les soldats britanniques. D’ailleurs, un de leurs fils, Jean-Baptiste, a été détenu quelques mois à la prison du Pied-du-Courant à Montréal. Il a été relâché quelques mois plus tard sans aucune accusation.
Parmi leur nombreuse famille, onze garçons et deux filles se sont mariés dont André, ancêtre de Damien. La présence des familles Richer dans les Laurentides, en particulier dans la région de Saint-Jérôme, remonte bien souvent aux fils de cette génération.
Paul, né le 18 juillet 1760 à L’Île-Bizard, est décédé le 10 avril 1836 à Saint-Benoît et inhumé dans la nef de cette église, honneur réservé aux notables de la paroisse. Marie Jammes dit Carrière est née le 5 juin 1762 à Pointe-Claire. Son décès n’a pas été retrouvé.
Cinquième génération
André épouse Anastasie Boileau le 11 octobre 1830 à Saint-Benoît. Dans un premier temps, les Richer partagent une terre avec Félix, le frère de l’époux, dans la seigneurie de Soulanges, à Coteau-du-Lac. En plus d’être cultivateur, André exerce le métier de tanneur.
Puis, en 1857, les Richer vendent leur terre pour aller s’installer en pays neuf, en pleine colonisation, l’Est de l’Ontario, plus précisément dans une région appelée le Grand Chantier, plus tard Sainte-Anne-de-Prescott. Parmi les premiers colons, plusieurs sont originaires de Saint-Benoît. André et ses fils travaillent comme défricheurs au service de la communauté. André et Anastasie ont eu onze enfants dont six se sont mariés : trois fils et trois filles. Parmi eux Onésime, le père de Damien.
André, né le 30 octobre 1800 à Saint-Benoît, est décédé le 14 décembre 1865. Il est inhumé à Saint-Eugène, paroisse-mère de l’Est de l’Ontario. Quant à Anastasie, née en 1812 à Sainte-Geneviève-de-Pierrefonds, elle est décédée chez un de ses fils le 25 janvier 1873 et est inhumée à Saint-Philippe d’Argenteuil.
L’émigration des Canadiens aux États-Unis
Avant de poursuivre, arrêtons-nous sur un phénomène qui a marqué le Québec de l’époque : l’émigration de près d’un million de Canadiens francophones aux États-Unis. Le domaine agricole saturé, l’économie du Québec tardant à prendre le virage industriel, la population devait chercher son gagne-pain ailleurs. Pour un grand nombre, le chemin menait vers les états de la Nouvelle-Angleterre où abondait le travail, notamment dans les filatures. Pour d’autres, les états du Mid West américain étaient attrayants. Les Richer n’ont pas été épargnés par ce mouvement migratoire.
André fils, né à Coteau-du-Lac en 1843, épouse Olivine Ouellette le 16 octobre 1874 à Saint-Philippe d’Argenteuil. Peu de temps après, ils émigrent en Illinois. André trouve du travail dans le domaine de la construction en tant que briqueteur. Leur descendance, les Richey et Ritchie se retrouvent dans la région de Chicago, d’autres en Californie où Andrew est décédé en 1925.
Plus tôt, Joseph Richer né en 1810 à Saint-Eustache, épouse Adélaïde St-Michel vers 1830 à St. Andrew’s, près de Cornwall. Après un séjour de quelques années dans le nord de l’état de New York, ils s’établissent dans le Minnesota. Leur nombreuse descendance est connue par des patronymes dérivés du surnom Louveteau soit Lefto, Lifto, Liftault…
Les Richer dans les provinces de l’Ouest
Si les Richer ont émigré au Sud pour des raisons économiques, il en va autrement pour l’un des leurs obligé de s’exiler dans l’Ouest du pays. En 1897, Wilfrid Damien Richer, curé de Val-des-Bois dans l’Outaouais québécois, a eu la mauvaise idée – pour l’époque – d’épouser une de ses paroissiennes, Élisa Côté, maitresse d’école par-dessus le marché. Par la suite, ils ont six enfants accueillis au baptême, mais sans la présence du père, exigence du curé de la paroisse. Après quelques années marquées par l’intolérance, les Richer quittent la région pour s’établir d’abord dans le Nord de l’Ontario. Mais les nouvelles courent vite, ils doivent s’exiler encore plus loin, au nord de la Saskatchewan. Établis dans les provinces de l’Ouest, leurs enfants se sont vitement intégrés à la communauté anglo-protestante.
Sixième génération
Onésime épouse Christine Duplantie le 7 janvier 1868 à Saint-Eugène. Contrairement à ses ancêtres, il n’est pas cultivateur. Il gagne sa vie et celle de sa famille comme journalier dans un moulin à scie situé sur la rivière à la Graisse, près de la frontière entre Sainte-Anne-de-Prescott et Rigaud.
En 1884, Onésime déménage sa famille dans le village voisin de Glen Robertson. Il travaille comme terrassier dans la construction d’une voie ferrée. Deux des fils d’Onésime et de Christine, Onésime fils et Damien, se sont mariés, un troisième, Martin, est décédé à l’âge de 28 ans. Un monument funéraire à son nom dans le cimetière de Glen Robertson, récemment restauré, rappelle le passage de la famille Richer dans l’Est ontarien.
Onésime fils prend le chemin des chantiers forestiers de l’état de New York dans les années 1890. Il épouse Orillia Blanchette en 1896, à Tupper Lake. Jusqu’à la fin des années 1900, des rencontres familiales ont eu lieu avec leurs nombreux descendants, entre autres, à la station hivernale de Lake Placid.
Onésime père, né le 27 janvier 1841 à Coteau-du-Lac, est décédé le 27 mars 1913 à Coteau-Station. Christine Duplantie, née le 19 septembre 1850 à Rigaud, est décédée le 25 avril 1945 au même endroit. Ils avaient rejoint leur fils Damien et sa famille, suite à l'arrivée de Glen Robertson par ce jour de tempête de décembre 1910.
Septième génération
Damien épouse Eugénie Lépine le 26 mai 1904 à Très-Saint-Rédempteur. Ils demeurent d’abord à Glen Robertson, puis à Coteau-Station.
Damien entre au service de la Canada Atlantic Railway en 1901. Cette ligne de chemin de fer faisait le lien entre le nord de l’Ontario et Portland, Maine. Damien avait inauguré une tradition qui perdure de nos jours.
Ses trois fils ont travaillé pour la Compagnie des Chemins de fer nationaux (CN) et encore aujourd’hui un Richer est toujours aux commandes de locomotives. En 2011, pour souligner cette allégeance, le Canadien national donnait le nom de Richer à un point d’identification de son réseau, près de Coteau-Station, aujourd’hui Les Coteaux.
Damien, né le 16 septembre 1878 à Saint-Eugène, est décédé le 17 octobre 1957 à Coteau-Station. Son épouse, Eugénie Lépine, née le 9 juillet 1883 à Rigaud, est décédée à Coteau-du-Lac le 8 juillet 1972 et inhumée auprès de son mari.
Mariage d’Éloi et de Laurence Dupont, parents de l’auteur, 7 juin 1930, Coteau-Station | Photo : Studio Gendron, Valleyfield
De haut en bas, de gauche à droite : les nouveaux époux entourés des frères du marié, Joseph et Aurèle; Damien, son épouse Eugénie, sa mère Christine. Tous reposent dans le cimetière Saint-Médard, Les Coteaux.
Commémoration
En 2007, un groupe de Richer se rend en France, à Louvetot, Seine-Maritime, pour y déposer une plaque en mémoire de leur ancêtre, originaire de l’endroit et pionnier de la Nouvelle-France.
En 2011, les Richer, Richey, Ritchie, Lefto, Lifto… se rassemblent à Montréal, lieu où leur histoire en terre d’Amérique a débuté. Ils échangent, festoient, visitent les lieux foulés par leurs ancêtres et adaptent des armoiries familiales ainsi que la devise suivante :
Cet article repose sur les études suivantes :
- Louis Richer, Éloi Richer, Ancêtres et descendants, Une famille Richer dit Louveteau en Amérique, Québec, 1999, 368 pages.
- François Richer et Louis Richer, Répertoire généalogique des Richer dit Louveteau d’Amérique, 1698-2011, Shawinigan-Sud, Imprimerie Gignac Offset Ltée, 2011, 858 pages.